Togo: Interview with Kokou Djagni

Kokou Djagni

Directeur Général (NSCT)

2014-10-07
Kokou Djagni

On parle beaucoup de la décennie de l’Afrique sur la scène internationale. Pensez-vous que l’Afrique a tout pour prendre son destin en main ?

 

Je pense que oui. Dans la mesure où lorsqu’on regarde aujourd’hui  le contexte économique et social de l’Afrique, on a tout ce qu’il faut. Il y a les ressources naturelles, il y a l’agriculture dans laquelle moi-même j’exerce, et je connais notre agriculture pour savoir qu’elle a encore suffisamment de potentiels pour un développement, et les ressources humaines surtout. Il y a quelques décennies, nous n’avons pas les ressources humaines qu’on a aujourd’hui. L’Afrique a suffisamment de cadres formés, sans parler de la diaspora. A l’intérieur de nos pays aujourd’hui, nous avons suffisamment de ressources. Si nous faisons confiance aux cadres qui sont dans nos pays, je pense que nous avons aujourd’hui les ressources humaines et les ressources naturelles combinées pour construire un développement.

 

On dit souvent que le Togo est un pays stable, et qu’il réunit toutes les conditions pacifiques pour faire des affaires. Est-ce vrai ?

 

Disons que le Togo a connu quelques moments d’instabilité. Mais si on retourne dans le passé, le Togo, bien qu’étant un petit pays, a toujours joué un rôle central en Afrique de l’Ouest. Rôle de plateforme de rencontres, de médiations, mais aussi en termes d’activités économiques et commerciales. Les femmes de Lomé, les Nana-Benz sont connues en Afrique.

 

Le Togo a joué un rôle très important par le passé sur le plan politique. Et aujourd’hui encore, dans les conflits, le Togo a souvent joué un rôle de médiateur, et je pense que le Togo peut encore le faire aujourd’hui. Le Togo est connu en Afrique comme étant un pays très hospitalier. Tout le monde peut vous le dire. Avec ce caractère, c’est tout à fait évident que nous pouvons continuer encore à jouer un grand rôle, tout en étant un petit pays. C’est pourquoi l’ancien Président, Feu Gnassingbé Eyadema disait, un petit pays une grande nation.

 

Le projet PNIASA est en train d’être exécuté. Qu’est-ce que c’est ?

 

Le projet PNIASA est un programme à plusieurs composantes. Aujourd’hui, on ne peut plus réfléchir l’agriculture de façon sectorielle. Il faut réfléchir l’agriculture de façon globale ; c’est ce que le PNIASA s’emploie à faire. Il faut prendre en compte la production agricole. Mais avant d’arriver à la production agricole, il faut avoir un programme cohérent de recherche. Si on a un programme cohérent de recherche, on peut avoir des technologies à mettre au profit de la cohésion agricole, et lorsqu’on finit de produire, il faut pouvoir transformer, et vendre.

 

Pendant longtemps, chaque secteur a essayé de se développer seul, et il n’y avait pas de cohérence évidente. Donc aujourd’hui avec le PNIASA, c’est justement pour prendre en compte ces interactions entre ces différents niveaux : recherche - production- transformation- commercialisation. Si on y parvient, en principe, ça peut aider le développement de l’agriculture au Togo. Aujourd’hui, si vous regardez les productions agricoles au Togo, nous sommes excédentaires. Ça veut dire qu’on peut jouer un rôle sur le plan de sécurité alimentaire, non seulement pour le Togo mais aussi pour les pays du Sahel où de temps en temps, il y a les problèmes de famine. Donc nous pensons que ce programme peut effectivement nous aider.

 

Quelles sont les forces et faiblesses de l’agriculture togolaise ?

 

Comme force, on peut citer la diversité. Nous sommes un pays producteur et exportateur de coton. Nous produisons également du café et du cacao. On n’en produit pas beaucoup, mais nous sommes un pays producteur de café-cacao.

 

Sur le plan des cultures vivrières, nous produisons toute une gamme, notamment le maïs qui est cultivé en grande culture, mais aussi le sorgho, le riz, etc. On a beaucoup de bas-fonds qui ne sont pas encore exploités. Aujourd’hui, on peut produire de l’arachide, le soja, etc. Il y a d’autres plantations qu’on peut faire, notamment l’ananas qui n’est pas très développé, mais le potentiel existe. Ça veut dire que ce qui est un avantage énorme pour l’agriculture togolaise, c’est le fait que le pays soit tiré en longueur, de la côte vers l’intérieur. Donc on a différents types de climat de sols, et cela permet justement cette diversité de production. Ce qui nous permettra éventuellement de pouvoir faire des choix stratégiques, de dire qu’on veut mettre l’accent sur tel produit plutôt que tel autre. On peut choisir de faire une production sur une niche donnée et choisir une autre.

 

La grande faiblesse de l’agriculture togolaise est que nous sommes encore à tous les niveaux dans le système pluvial. Il n’y a pas de culture irriguée. Nous dépendons de la pluie. Ça pose un problème de maîtrise de l’eau. A partir du moment où vous n’avez pas la maîtrise de l’eau, vous êtes fragilisés. S’il pleut trop, vous avez des problèmes. Et s’il ne pleut pas assez, vous avez encore des problèmes. Même si les hauteurs de pluies sont normales, si la pluie n’est pas bien repartie, vous avez encore des problèmes. C’est l’une des grandes difficultés de l’agriculture togolaise.

 

L’autre difficulté, c’est que nous sommes encore très largement dans l’agriculture manuelle, qui n’est pas encore mécanisée. Donc ça limite notre capacité à produire sur de grandes étendues et à maîtriser toutes les opérations culturales, notamment les entretiens, les récoltes. Ce n’est pas aussi évident que ca. Troisième faiblesse, c’est que nous sommes encore très faiblement transformateurs des produits que nous essayons de produire. Nous ne faisons pas de transformations suffisantes. Sur le coton par exemple qui est mon domaine, nous exportons la fibre qui va être transformé ailleurs et nous achetons les habits nous-mêmes. Mais lorsque vous exportez la matière première comme ça, vous l’exportez avec la main-d’œuvre. Voilà en résumé, sans les développer, les faiblesses que nous avons au niveau de l’agriculture togolaise.

 

Pour mieux résumer, nous avons de grandes potentialités, nous avons des forces au niveau de l’agriculture, mais nous avons également un certain nombre de faiblesses que nous devons corriger pour avoir une agriculture durable.

 

Comment comptez-vous faire ca ?

 

Il y en a qui vont se faire assez rapidement. Mais il y en a pour lesquelles on aura encore des difficultés pour  un certain nombre d’années, notamment sur le plan de la transformation. Avec le programme PNIASA, il y a des actions qui sont prises pour favoriser la transformation. On commence par voir des gens s’installer, et s’il y a un bon accompagnement, en ce moment, ça peut se faire rapidement.

 

Mais pour ça, il y a des mesures politiques à prendre, parce que, aujourd’hui, sur beaucoup de produits, nous avons des problèmes avec nos frontières. Il y a des importations massives qui peuvent arriver et qui ne sont pas de nature à favoriser les transformations locales. Ça veut dire qu’il y a des actions à ce niveau à mener.

 

On peut agir très rapidement sur la mécanisation. Il va falloir encore des années pour maîtriser l’eau, parce que nous sommes dans un système de petites plantations familiales avec des parcelles très dispersées, de petite taille, que mettre en place des infrastructures d’irrigations va prendre encore des années.

 

Par rapport à la mécanisation, la transformation, est-ce que vous comptez sur l’initiative des  sociétés privées étrangères qui pourraient s’installer au Togo ?

 

Personnellement, je dirai qu’il y a des mesures politiques qui peuvent être prises. Mais, à mon avis, je ne suis pas très pour que ce soit de grandes entreprises internationales qui viennent s’installer pour faire la modernisation de notre agriculture, pour la simple raison que déjà, si on mène bien les actions de production agricole, l’agriculture peut être bien un secteur pourvoyeur d’emplois. Lorsque vous avez de grandes multinationales qui s’installent, vous risquez d’avoir déjà ce qu’on appelle en Amérique du Sud, les paysans sans terre et je ne pense pas que ce soit la solution. Donc de grandes multinationales qui viendraient s’installer, sur certains nids, ça peut encore se faire. Mais je ne militerai pas pour ça.

 

Donc ce serait à l’Etat de prendre l’initiative ?

 

Pas nécessairement. La plupart du temps, on pense tellement à des modèles si immenses, et finalement, on n’arrive pas à grand-chose. Aujourd’hui, en parlant de mécanisation, je ne parle pas de tout un complexe industriel. Mais quand vous allez au Ghana par exemple, il y a un programme d’accompagnement d’acquisition de tracteurs qui fait que des Ghanéens viennent faire des prestations avec leurs tracteurs dans les champs des Togolais. C’est déjà un début de mécanisation. Si ici aussi on peut mettre en place des programmes qui permettent aux exploitations agricoles se mettant en groupements d’avoir un tracteur qui peut travailler dans les champs de différentes personnes, ce serait un début de mécanisation. Donc je ne pense pas, par l’art de mécanisation, à de grandes multinationales qui viendraient s’installer.

 

Et la filière cotonnière ?

 

Si on revient au coton, c’est une culture un peu spécifique par rapport aux autres cultures, dans la mesure où pour les autres productions vivrières, il y en a une partie qui est consommée sur place, et c’est seulement une partie qu’on peut exporter. Pour le coton, tout est exporté. Il y a toute une organisation derrière cette production. Pour la petite histoire, le Togo a commencé à cultiver le coton, à faire de la recherche sur le coton avec la colonisation allemande en 1902. Il y avait des parcelles exploitables, et par la suite, avec la colonisation française, avant l’indépendance, il y a eu un centre de recherche qui s’est installé au Togo depuis 1949. Il y a une structure de recherche qui fait les recherches sur les variétés à cultiver, sur les différentes techniques de culture du coton et sur les moyens de protection de la culture cotonnière. A  partir de 1974, a été créée la SOTOCO qui était une société d’Etat. Et cette société était supposée faire la promotion du coton.

 

Avant les indépendances, l’administration coloniale française obligeait les gens à faire du coton et pendant tout ce temps, le coton était perçu comme une culture pour le Blanc, mais pas pour celui qui cultive. Il faut alors question de changer cette image, en faire la promotion pour que le producteur se rende compte qu’il fait le coton pour se faire de l’argent et ensuite faire de l’argent au pays. Donc la SOTOCO a organisé des producteurs. Mais dans un premier temps, c’était des producteurs individuels jusqu’au milieu des années 80. A partir de ce moment là, il était question d’organiser les producteurs en groupements pour qu’ils puissent se retrouver entre eux et faciliter le travail. Jusque là, les groupements étaient suivis par la SOTOCO jusque dans les années 1990. Il a été question que les groupements puissent s’organiser et constituer une structure partenaire à la SOTOCO. C’est là où on a commencé à regrouper les groupements par préfecture pour en faire des unions  au niveau régional et au niveau national.

 

Aujourd’hui, on a  une Fédération qui constitue un interlocuteur vis-à-vis de la SOTOCO. La Nouvelle société cotonnière créée en 2009, suite à la crise qu’a connue la SOTOCO, a continué dans cette dynamique là. Donc aujourd’hui, la filière cotonnière continue ses activités de recherche et ses activités d’accompagnements de la production. Quant à la Fédération Nationale de Groupements de Producteurs de Coton, FNGPC, elle organise et structure le milieu de la production agricole. Ce qui fait que lorsque vous arrivez dans un milieu, vous n’avez plus à faire à un producteur individuel mais à un groupe de producteurs et le dialogue est relativement facile.

 

Avez-vous des chiffres à la NSCT sur la production du coton ?

 

Ça beaucoup varié ces derniers temps. Je n’ai pas de chiffres exacts maintenant. On a produit près de 200.000 tonnes de coton graine dans le pays. Mais en 2009, on est tombé à 28.000 tonnes. Et c’est maintenant qu’on est en train de remonté

 

Et maintenant vous êtes à combien ?

 

Autour de 80.000 tonnes. Vous voyez donc qu’il y a des variations dans le temps.

 

Vers quels pays le coton togolais est exporté ?

 

Le coton togolais est principalement exporté vers l’Asie. Mais nous vendons à travers des traders. Ce sont des négociants, et principalement, ce sont des négociants européens, la France, la Suisse, etc.

 

Est-ce que tout ce que vous produisez est vendu ?

 

A 100%.

 

Donc si vous produisiez plus, vous pourriez vendre la totalité de votre production ?

 

Absolument. Aujourd’hui, nous n’avons pas de problèmes pour vendre. Nous produisons un coton de qualité, donc nous n’avons pas de problèmes pour la vente. Le problème que nous avons c’est de produire.