ALGERIA
la Nouvelle Generation


V.I.P. INTERVIEWS
Interview avec

M. ABDELMALEK SELLAL
LE MINISTRE DES TRAVAUX PUBLICS

INTERVIEW REALISEE LE 11 OCTOBRE 2001
pour le compte de Far Eastern Economic Review et de World Investment News

Q1/ Nous souhaiterions avoir un aperçu du secteur des travaux publics algérien, et des principes qui sous tendent votre action au niveau du ministère ?

R1/ Le secteur des Travaux publics en Algérie est relativement important, puisqu'il comprend la prise en charge, le suivi et la réalisation des routes, autoroutes, port et Aéroports et qu'il englobe naturellement le secteur travaux public dans tous les aspects qu'il peut recouvrir. Nous sommes en train d'accélérer en Algérie le passage d'une économie socialiste à une économie de marché. Ce passage vers une économie ouverte et libéralisée permettra de créer un tissu d'entreprises privées de nature à contribuer à l'entretien efficace et permanent du réseau routier.

Par ailleurs, nous sommes en train de lancer des projets d'envergure, notamment avec une entreprise italienne. Simultanément le programme annuel du gouvernement en matière de construction et de travaux publics est en passe d'être lancé, celui ci concerne un nombre conséquent de projets étatiques qui visent à l'amélioration des infrastructures dans le pays. Il est clair aujourd'hui que de tels programmes ne peuvent être mené de front seulement par l'Etat. On ne peut y faire face seuls et nous avons clairement besoin d'apports extérieurs. Les modalités pour que des entreprises puissent réaliser une partie des projets à mettre en œuvre sont diverses. Il peut s'agir d'une réalisation directe ou d'un partenariat, voire d'un BOT impliquant alors la réalisation et la gestion. Nous allons lancer en début d'année prochaine de nombreux projets, entre autre la construction d'un nouveau port à Jijel qui sera un port stratégiquement important. Il y a par ailleurs des négociations qui ont été entamées avec la Société Danielli dont nous évoquions déjà la présence plus avant. La société prendrait en charge, selon les négociations qui sont en cours, une partie des travaux du port. Mais il s'agirait uniquement d'interventions visant à l'amélioration des infrastructures existantes.

Il existe ensuite un autre très grand projet mis en avant au niveau des priorités gouvernementales qui est celui d'une autoroute reliant les 3 pays du Maghreb. Ce projet s'inscrit naturellement dans un cadre de travail définit avec les Tunisiens et les Marocains. Il importe qu'un tel projet soit mis en oeuvre pour régler le problème de la circulation existant aujourd'hui. Nous comptons terminer le premier tronçon entre l'Algérie et la Tunisie d'ici 2001. Celui ci sera mis en œuvre et réalisé en BOT. Aujourd'hui c'est l'un des projets prioritaires parmi les objectifs et les perspectives que nous avons dessiné au niveau gouvernemental.

Globalement, notre approche et notre réflexion vise à rendre le secteur de plus en plus dynamique et à avoir une variété de solutions possibles pour que nos projets soient menés à bien et dans les meilleurs délais.

Q2/ Quels sont les grands principes qui sont mis en exergue au niveau du Ministère s'agissant de la construction et de la mise en exploitation des autoroutes ?

R2/ Nous avons retenu un principe: si l'on donne une autoroute en concession, il est clair que le mode d'exploitation est une des questions à laquelle il nous faut répondre. Soit l'Etat optera pour la mise en place de péage, soit il choisira un autre type d'accord avec les entreprises en charge des travaux. Vous savez maintenant qu'il y a plusieurs formules à travers le monde lorsqu'il s'agit de contrats de mise en concession d'autoroutes et de réalisation d'autoroutes. Il y a par exemple des pays riches où ce sont les citoyens qui en utilisant l'autoroute paient la construction de ces ouvrages publics. Il existe d'autres formules et d'autres solutions comme par exemple au Portugal ou l'Etat agit sur la prise en charge directement avec les citoyens. Parfois l'Etat seul prendra en charge les travaux.

Ce qui est certain, c'est qu'aucune entreprise ne viendra investir ici s'il n'y a pas de péage pour l'autoroute ; il est donc clair qu'un tel péage sera mis en place. La question reste de savoir qui paiera, dans un premier temps, pour la construction et quel sera le montant du péage. Ce sont des discussions qui font l'objet de réunions d'évaluation et d'analyses précises. Nous déterminerons sous peu une position finale car certains éléments qui ont été portés à notre connaissance doivent être sérieusement pris en considération. Nous savons aujourd'hui que certains pays ont connu de grands échecs dans la mise en place de ce type de projet. L'exemple de l'Argentine est l'un des plus significatif avec celui du Mexique où le prix du péage était tellement élevé qu'il s'est avéré que le projet était en passe d'entraîner les entreprises concessionnaires à leur perte pure et simple. Certaines ont même failli déposer définitivement le bilan. Il nous faut donc étudier cela de près, même s'il ne s'agit là que de négociations techniques. L'essentiel pour nous, c'est que la décision politique ait été prise: donner en concession l'autoroute Est-Ouest.

Q3/ S'agissant de ce projet dont l'envergure en fait certainement l'un des plus importants jamais réalisé en Algérie, y a t-il des entreprises qui sont déjà pressenties ou candidates ?

R3/ Il y a un certain nombre d'entreprises et de groupements qui ont manifesté leur intérêt cependant pour l'instant, il n'y a absolument rien de concret et de définitif. A ce stade les discussions sont en train de se faire, c'est un projet qui coûte extrêmement cher, le montant final avoisinera les 5 milliards de dollars. Comme vous le savez, la réalisation d'un marché d'une telle envergure demande une préparation importante, des mois de discussions et de négociations avec nos partenaires étrangers, et une prise de décision qui repose sur des éléments définis.

Il est d'ailleurs possible que nous n'ayons pas un seul concessionnaire mais plusieurs se répartissant la réalisation des travaux. C'est à dire pour être précis: la détermination d'un certain nombre de tronçons qui reviendraient pour chacun à un groupement d'entreprises qui interviendraient et seraient responsables solidairement sur ces tronçons.

Q4/ Comment envisagez-vous l'évolution d'un tel projet en terme notamment de rentabilité ?

R4/ L'avantage que nous avons comparativement à nos voisins de l'Est ou de l'Ouest, c'est que l'autoroute algérienne est beaucoup plus rentable. Nous enregistrons en moyenne près de 20.000 véhicules/jour, alors que nos voisins, dans les meilleurs de leurs tronçons, enregistrent 4.000 véhicules/jour. Il est donc clair qu'en terme de rentabilité, l'autoroute algérienne est de loin la plus rentable. Un entrepreneur a tout intérêt à investir en Algérie. Il y trouvera un potentiel de retour sur investissement bien plus important que dans les autres pays de la région.

Q5/ L'une des préoccupation majeure mise en avant au niveau gouvernemental tient à la situation existante s'agissant de l'eau. Il semble que des programmes importants soient en train d'être mis en œuvre ?

R5/ Cela nous concerne pas directement au Ministère des Travaux Publiques parce qu'il s'agit d'une nouvelle orientation. Le problème d'eau est tellement important et dramatique dans notre pays que le Président de la République a jugé utile de créer un Ministère des Ressources en Eau. D'ailleurs, je vous conseille d'aller le voir et de discuter de tous les problèmes qui concerne l'eau: barrages, alimentation des villes, sociétés du secteur et projets de développement.
Q6/ Quelle est la situation du secteur des travaux publics en terme de dynamisme des entreprises, nombre d'entreprises en activité, et nombre de création d'entreprises chaque année ?

R6/ Le secteur des travaux publics est un secteur très particulier en ce qui concerne les entreprises parce que c'est un secteur qui exige énormément de moyens financiers et des investissements considérables. Pour créer une entreprise de travaux publics il est nécessaire d'avoir un capital financier qui soit extrêmement important dès le départ. Dans la majorité des pays développés, il y a un phénomène de sous-traitance qui entraîne une répartition du travail entre un maître d'ouvrage et une série de contractants qui dépendent de ce maître d'ouvrage. C'est-à-dire que les grandes entreprises n'ont pas à disposer forcement de la totalité des moyens, elles s'en remettent à ces sous-traitants qui assurent des parties non négligeables des ouvrages et chantiers réalisés. Ici, ce marché n'existe pas, et nous sommes dans une situation très particulière en termes d'entreprises présentes dans le secteur et de dynamisme relatif en terme de création d'entreprises de travaux publics.

Nous avons des entreprises publiques qui sont vraiment colossales et qui ont de graves problèmes de gestion ; raisons pour lesquelles nous allons d'une manière certaine et décisive vers leur privatisation. Cette donnée est acquise pour les professionnels du secteur ainsi que les hommes chargés de l'orientation du secteur: l'Etat, tel qu'on le conçoit actuellement, n'a pas à s'occuper de construction ou de réalisation. L'Etat est avant tout le garant d'un fonctionnement efficace du système, d'un contrôle et d'une régulation de ce système. Il est clair somme toute que nous allons de plus en plus vers la privatisation de ces entreprises. D'ailleurs, simultanément à ce processus qui tend à mettre en avant la nécessité de privatiser une partie des entreprises du secteur, les entreprises privées sont en train d'émerger.

Q7/ Quelle attitude adoptez-vous par rapport aux investisseurs asiatiques potentiels et dans quelle mesure représentent-ils un intérêt allant dans le sens de la politique que vous mettez en place au niveau du Ministère des Travaux Publics ?

R7/ Le gouvernement a une attitude très claire: nous avons arrêté un principe de discussion avec tous les partenaires étrangers, et ce principe est valable pour toutes les entreprises publiques, les entreprises de travaux publics étant naturellement comprises dans ce schéma. Lorsqu'un investisseur étranger est intéressé par une entreprise publique du secteur des travaux publics, nous sommes prêts à discuter l'ouverture de son capital. La prise de position dans la structure pouvant se traduire en terme de représentation au sein de l'entreprise privatisée en question. Cette ouverture du capital est envisageable sur une échelle allant de 10% à 100%, je tiens à vous dire que nous sommes définitivement débarrassés de tout complexe.

Nous sommes ouvert à toute forme de proposition de la part de nos partenaires étrangers. En effet certains de ces partenaires, qui nous témoignent leur intérêt pour telle ou telle entreprise, ne souhaiteraient prendre position dans leur capital qu'à hauteur de 10/20/30 voire 40%. Dans la mesure où ces partenariats nous intéressent, nous ne souhaitons pas les enfermer dans une option unique et nous sommes ouverts à la discussion et à toute proposition qui se révèlerait intéressante pour le dynamisme et la compétitivité des entreprises du secteur. Les privatisations qui sont à venir sont à nos yeux autant de cas particulier qui seront étudiés les unes après les autres. Il doit y avoir un rapport entre la demande et l'offre. Nous mettons les entreprises sur le marché et ce sont les acquéreurs qui viennent et qui nous font des propositions. Après cette première phase de proposition, le processus avance: les discussions se précisent, les négociations se déroulent comme dans n'importe quelle autre pays du monde.

De nos jours il y a des milliers d'entreprises qui s'achètent et qui se vendent tous les jours aux Etats-Unis, et ce phénomène existera bientôt ici. Dans le cas des entreprises de travaux publics, si un investisseur est intéressé par une entreprise, il amorce une discussion avec l'Assemblée Générale de l'entreprise et son Conseil d'Administration. Ces premières prises de contact mettent en place le cadre de la négociation et définissent par exemple l'ampleur de la cession de capital qui sera mise en œuvre. Après cette première phase la négociation purement commerciale vient achever le processus.

Le verrou politique est définitivement levé s'agissant de la possibilité de privatiser les entreprises publiques algériennes et le président de la République l'a exprimé plusieurs fois. Nous sommes ouverts à tout type de proposition, cela ne veut pas dire que nous allons tout accepter, mais nous sommes disposé à étudier toute opportunité et à le faire pour toutes les entreprises du pays sans distinction aucune.

D'ailleurs, vous avez rencontré le PDG de COSIDER qui est lui-même en partenariat avec deux ou trois entreprises étrangères et souhaiterait l'ouverture de son capital. Aujourd'hui tout manager algérien sensé sait que son entreprise évolue sur un marché qui deviendra de plus en plus compétitif. Il sait aussi, d'autre part, à quel point vouloir travailler pour le bien de son entreprise signifie se donner les moyens de dépasser un certain nombre de limites. Ces limites dont je vous parle sont diverses: elles sont technologiques, commerciales et elles concernent également le management du capital humain de l'entreprise.

A mon sens l'aspect le plus déterminant est celui du savoir-faire ; lorsque l'on a été pendant trente ans dirigeant d'une entreprise socialiste on vous alloue un budget à dépenser et dans les années soixante le bon gestionnaire était celui qui dépensait le plus d'argent. Naturellement ce n'était pas de la gestion car gérer implique la maîtrise de tous les éléments techniques, humains et commerciaux que nous avons évoqués plus haut.

Encore une fois, et pour conclure ce qui importe absolument c'est de créer un maximum de relations avec nos partenaires étrangers pour acquérir ce savoir-faire. Nous avons dans le domaine des travaux publics et partout ailleurs un gigantesque effort à faire en matière de formation: formation de nos cadres, de nos dirigeants et de nos ressources humaines en général et ce mouvement doit concerner tous les secteurs. le pays dispose de ressources humaines ayant un niveau de formation élevé, nous avons des cadres qui ont fait de très hautes études la majorité ont étudié dans les pays occidentaux, c'est un paradoxe qui devra être dépassé avec la mise en place d'une économie ouverte et performante en Algérie. Nous y travaillons et c'est un but qui sera atteint, telle est ma conviction.

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© World INvestment NEws, 2002.
This is the electronic edition of the special country report on algeria published in Far Eastern Economic REVIEW.
November 28th, 2002 Issue. Developed by AgenciaE.Tv